La dérégulation des marchés de détails de la téléphonie fixe pour les consommateurs, un horizon chimérique

Publié le par Frédéric Laurie


Dans un communiqué de presse rendu public le 1er juin 2007, l’ARCEP déclare poursuivre
sa démarche d’allègement de la régulation des marchés de détail de la téléphonie fixe en levant les obligations qui pèsent sur France Télécom sur les marchés résidentiels. Pour cela, elle ouvre une consultation sur son site portant sur l’allègement de la régulation appliquée aux marchés de détail de la téléphonie fixe (1). Seuls les marchés résidentiels font l’objet de l’ouverture de cette concertation. Dans une décision n°05-0571 en date du 27 septembre 2005, l’ARCEP a précisé quels étaient les marchés pertinents susceptibles d’être concernés en gelant la question de leur dérégulation éventuelle jusque 2008. Cette détermination suppose d’énoncer préalablement quels sont les marchés de la téléphonie fixe.

 

D’une part, il existe quatre familles de marchés pertinents de gros (départ d’appel, transit intra territorial, transit inter territoires et terminaison d’appel), qui ont déjà été dérégulé.

 

D’autre part, il existe six marchés pertinents de détails répartis entre trois marchés concernant le segment professionnel et trois marchés concernant le marché résidentiel. Le premier marché pertinent de détail résidentiel est constitué de produits d’accès utilisés par la clientèle résidentielle principalement pour accéder au réseau téléphonique public. Le deuxième de ces trois marchés pertinents est celui de détail des communications téléphoniques interpersonnelles depuis un poste fixe du territoire d’analyse vers un poste fixe ou un terminal mobile du territoire national, pour la clientèle résidentielle (On entend par « territoire d’analyse » le territoire métropolitain, les départements d’outre-mer et la collectivité territoriale de Mayotte). Le dernier marché pertinent résidentiel est un marché comparable au précédent et concerne les liaisons internationales à partir du territoire métropolitain, d’un DOM ou de Mayotte.

 

Ce sont ces trois marchés résidentiels qui font désormais l’objet du réexamen des conditions de leur dérégulation suite à l’analyse de l’état du marché opéré dans la décision n°06-0840 en date du 28 septembre 2006 préalablement à la date butoir du 1er janvier 2008.

 

En organisant cette consultation, l’objectif d’un exercice au bénéfice des utilisateurs d'une concurrence effective et loyale entre les exploitants de réseau et les fournisseurs de services de communications électroniques fixé par l’article L. 32-1 du code des postes et communications électroniques semble renforcé par la levée de toute contrainte sur le marché résidentiel de détail, c’est-à-dire sur le marché des communications à domicile de particulier à particulier. Pour autant, l’objectif concurrentiel ainsi affirmé dans le communiqué de l’ARCEP du 1er juin 2007 ne supprime pas toute forme de régulation tarifaire en préservant le champ du service universel du libre jeu de la concurrence. C’est donc vers une extension raisonnée de la concurrence sur l’ensemble des services accessoires de téléphonie fixe que se poursuivent les efforts de l’ARCEP en préservant le tarif universel du mouvement de dérégulation tarifaire. Si la nouvelle ouverture sur le marché du téléphone fixe pour les consommateurs est limitée par l’encadrement des tarifs du service universel, à l’inverse il existe aussi des limites à ce mouvement de dérégulation sur le marché de la téléphonie fixe qui contrarient l’ambition avouée de l’établissement d’un marché ouvert des télécommunications.

 

La dérégulation des marchés résidentiels sur la téléphonie fixe doit mécaniquement entraîner une extension des offres disponibles pour les consommateurs. Mais elle peut aussi induire un effet économique opposé au but poursuivi pour ce qui concerne le marché et sa tarification.

 

En permettant un morcellement du marché par la multiplication des offres, voire celle des opérateurs présents sur un segment limité du marché résidentiel, la dérégulation ainsi réalisée risque d’entraîner une concentration des opérateurs. En effet, le marché de la téléphonie fixe est un marché encore peu rentable pour ce qui concerne les services de bases, compte tenu de l’importance des missions du service universel des télécommunications énoncées à l’article L. 35-1 du code des postes et communications électroniques, du poids de la gestion du réseau. L’extension des prestations accessoires comme la VoD et les nouveaux services liés aux nouveaux contenues forment une source de revenus qui sont préemptés par les fournisseurs d’accès à Internet sans que les opérateurs dont les services demeurent limités à l’apport en téléphonie puissent largement les développer. Dès lors, l’équilibre économique des réseaux de téléphonie fixe ouverts à la concurrence suppose que l’opérateur supporte le coût total des services offerts aux particuliers sans bénéficier d’une couverture pour charges de service public. Ceci n’est réalisable que si le réseau de l’opérateur alors considéré dispose d’une couverture large. Ce qui est précisément le cas de France Télécom auquel s’adresse l’ouverture à la concurrence visée par le communiqué du 1er juin 2007, mais en y intégrant la couverture des charges du service universel.

 

La disparition du contrôle de l’opérateur historique par le régulateur envisagée par l’ARCEP, dans le communiqué du 1er juin 2007 qui envisage l’abrogation des solutions édictées dans la décision n°05-0571, est cependant susceptible d’impliquer un alourdissement de sa position sur le marché au détriment des autres opérateurs concurrents sur le marché de l’opérateur historique qui n’ont pas l’assise financière suffisante pour supporter le risque d’une distorsion entre le prix de gros régulé et le prix de détail de l'opérateur historique.

 

L’ARCEP envisage pour cela de lever la quasi totalité des obligations imposées à France Télécom sur les prestations d’accès sur les marchés résidentiels (communication préalable avec en corolaire son pouvoir de s’opposer à la commercialisation d’une offre, proscription des tarifs non excessifs, des tarifs d’éviction et des couplages abusifs). Or, la régulation a pour effet, s’agissant du marché de gros, de permettre aux opérateurs alternatifs d’accéder, dans des conditions raisonnables, au réseau de l’opérateur dominant, et, s’agissant des marchés de détails, de contrôler que l’opérateur historique ou tout autre opérateur dominant ne profite pas de sa position pour pratiquer des tarifs anticoncurrentiels. C’est pourquoi la dérégulation du marché implique le risque d’une réintroduction d’une position dominante de l’opérateur historique alors qu’il occupait en 2006 une part de marché de 68,6 % (source : France Télécom, Document de référence 2006). L’argument de l’ARCEP mentionné dans le projet de décision visant à alléger la régulation des marchés de détail de la téléphonie fixe soumis à consultation repose sur l’extension de l’offre aux particuliers. Mais si cette offre est techniquement diverse, en revanche, son poids demeure largement inférieur à celle de l’opérateur historique. Ceci est d’autant plus avéré que l’emprise de l’opérateur historique sur le marché s’élève à 90 % en valeur, compte tenu des reversements qu’il reçoit de ses concurrents au titre de l’interconnexion.

 

La puissance de l’opérateur historique freine l’établissement d’une concurrence loyale dans l’acquisition à un tarif de détail raisonnable des services de téléphonie fixe en asphyxiant les autres opérateurs. L’objectif de dérégulation annoncé par l’ARCEP est structurellement compromis. Il s’ensuit que l’opérateur historique pourrait rapidement se trouver dans la situation d’exercer une influence significative sur le marché de détail au sens de l’article L. 37-1 du code des postes et communications électroniques. D’après ce texte, est réputé exercer une influence significative sur un marché du secteur des communications électroniques tout opérateur qui, pris individuellement ou conjointement avec d'autres, se trouve dans une position équivalente à une position dominante lui permettant de se comporter de manière indépendante vis-à-vis de ses concurrents, de ses clients et des consommateurs. Dans ce cas, l'opérateur peut également être réputé exercer une influence significative sur un autre marché étroitement lié au premier. C’est le cas si lorsque la situation concurrentielle sur le marché de détail est étroitement liée à celle prévalant sur le marché de gros, comme dans le marché des SMS où la situation des opérateurs est pourtant plus souple que pour la téléphonie fixe compte tenu de la présence de trois opérateurs (Conseil de la concurrence, avis du 10 mars 2006 relatif à une demande d’avis de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des Postes en application de l’article L. 37-1 du code des postes et communications électroniques, portant sur l’analyse des marchés de gros de la terminaison d’appel SMS sur les réseaux mobiles), nonobstant les irrégularités avérées dans ce secteur au regard du droit de la concurrence. C’est pourquoi le projet de décision ouverte à consultation par l’Autorité de régulation énonce dans son article 13 que la société France Télécom est réputée exercer une influence significative sur les marchés de détail jusqu’au 1er septembre 2008.

 

Pour se prémunir du risque de position dominante, l’ARCEP énonce néanmoins l’obligation de respecter la concurrence en précisant les pratiques proscrites dans le cadre de la dérégulation. Parmi ces pratiques se trouvent l’interdiction de pratiques discriminatoires et l’interdiction de pratiquer des couplages d’offres abusifs et celle de pratiquer des tarifs d’éviction.

 

L’interdiction de pratiques discriminatoires repose sur la facilité pour l’opérateur historique d’y recourir pour exercer une politique de fidélisation de sa clientèle, particulièrement ciblée sur la frange concurrentielle de ce marché, et de la même manière avoir une politique particulièrement ciblée de reconquête des clients perdus par l’effet attractif de la marque « France Télécom » compte tenu que le nombre de clients s’élevait encore, fin 2006, à 6,9 millions d’abonnés.

 

Les couplages d’offres illicites désignent l’association injustifiée dans une vente d’une offre en monopole ou en quasi-monopole et d’une offre concurrentielle, avec un rabais éventuel qui est un obstacle à la commercialisation d’offres concurrentes ou qui porte atteinte aux intérêts des clients. Selon l’ARCEP, la puissance de l’opérateur historique sur les marchés de détail et sur les marchés de gros de la téléphonie fixe la place dans une position qui rendent possibles des couplages abusifs, soit tarifairement, soit contractuellement, soit techniquement et qu’il existe un risque particulier que l’opérateur puissant ne cherche, en liant deux produits appartenant à des marchés de détail différents, à tirer avantage de sa puissance sur l’un des marchés de détail pour restreindre, par effet de levier horizontal, la concurrence sur un autre marché de détail.

 

Il faut ajouter à ces deux prohibitions l’obligation de communication préalable des tarifs et celle de comptabilisation des services et activités de détail.

 

La prégnance de l’opérateur historique dans le champ des communications électroniques constitue un obstacle central à la dérégulation de l’ensemble des marchés de téléphonie fixe, le champ du service universel excepté. De la sorte, le processus de dérégulation semble davantage tenir de la chimère dans les conditions actuelles du marché. Mais l’on ne peut retirer à l’Autorité de régulation l’intention louable d’y procéder malgré les résistances structurelles afin à terme de libéralisation du marché des télécommunications que ce marché soit réellement ouvert, loyal.

 

Il faut ainsi croire que la période de consultation ouverte par l’ARCEP mette en relief les difficultés structurelles du marché de la téléphonie fixe dans lequel la réalisation de l’objectif de concurrence tient davantage d’une incantation que de l’application d’une discipline stricte des marchés.

 

(1) http://www.art-telecom.fr/uploads/tx_gspublication/projdec-marchd-tail2-010607.pdf

Publié dans Régulation

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B
copieur !! Félécitations. Je vais en parler et, d'ors et déjà, te mettre dans mes liens (tiens, je ne suis pas dans les tiens ...). Salut fredo
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